[BG] Werewindle
Posted: 12 Nov 2005, 13:52
Une lame.
Mon esprit est une lame. Deux faces dans mon âme.
L'une violente, sauvage, orgueilleuse. Presque irréelle. L'autre sage, mesurée, éclairée. Quoi de plus normal pour une elfe ?
Ces deux parties de moi-même se combattent violemment, sans relâche. Prennent tour à tour le dessus.
Mais commençons par le commencement.
Mon enfance...
Elle ne fut qu'une progressive et douloureuse prise de conscience de cette dualité. Petite déjà, je prenais plaisir à voir la souffrance. La provoquer. La maîtriser. Je ne pouvais m'empêcher de torturer des animaux durant de longues heures, seule, dans un coin reculé des forêts hiberniennes. Je finissais toujours par les tuer, me délectant du rouge de leur sang. Plaisir esthétique, bien sûr.
Une autre partie de moi-même combattait ces pulsions. J'avais conscience que ce que je faisais était mal. Répréhensible. Du moins selon les standards de la société elfique. J'avais été élevée dans un idéal de paix et de sagesse, non de violence. Les Elfes protègent la nature, ils ne la détruisent pas. Or c'était la destruction qui m'attirait. La souffrance, le feu, la violence me fascinaient.
Je m'efforçais de dissimuler cette part de moi-même. Lorsque je m'enfonçais dans la forêt, c'était toujours seule, et tous croyait que c'était pour m'entraîner au maniement de l'épée sans que personne ne me vît. Je mentais pour préserver mon secret. Ma malédiction.
Au fur et à mesure que je grandissais, ce conflit se développa en moi. Il atteignit son paroxysme lors d'une chaude journée d'été...
— Aurais-tu peur, Wer' ?
— Peur, moi ?
Je me mets à rire.
— Tu aimerais bien !
Il éclate à son tour d'un rire amical et prend position, sa lame tendue devant lui, prêt à toute éventualité. Je dégaine mon épée et l'imite.
— Vas-y, Wer' ! me lance joyeusement un des jeunes Elfes qui nous entourent.
Je souris et fait virevolter mon épée. Simple bravade.
— Tu crois pouvoir y arriver ? me demande mon adversaire d'un ton ironique.
Pour toute réponse, j'attaque brusquement. L'Elfe dévie ma lame sans difficulté – comme je m'y attendais -, et le combat commence. Ce n'est qu'un duel amical, bien sûr. Il ne s'agit pas de tuer son adversaire, mais de le blesser suffisamment pour qu'il s'avoue vaincu.
Pendant quelques minutes, je m'efforce de déjouer ses attaques, et n'en porte moi-même que quelques-unes. Je connaissais son style, et savais qu'il préférait dépenser toutes ses forces dès le début du combat, afin de fatiguer son adversaire – de le pousser à faire une faute.
Je restais donc calme, concentrée, l'esprit tout entier tourné vers le combat. Au bout d'un moment, je quitte mon style défensif et commence à attaquer. Mon adversaire, remarquant ce changement, se met à sourire. Il me connaît bien.
Soudain, son épée, d'un étrange mouvement sinuant, écarte ma lame et passe sous ma garde. Je me jette en arrière.
Trop tard. L'acier trace une fine ligne sanglante sur ma joue droite, puis se retire.
Je grimace, romps l'engagement et porte ma main à ma joue. Ce n'est qu'une égratignure, mais je ne peux m'empêcher de ressentir de la colère. Injustifiée, me souffle une partie de mon esprit.
Mon adversaire me sourit.
— On dirait que les Dieux t'ont abandonné, Wer'... ironise-t-il.
Ces paroles déclenchent ma fureur, réveillant la part de moi-même que j'étais parvenu à tenir à distance jusque là.
— Les dieux ! craché-je. Ils nous ont exilés dans les profondeurs obscures, ils nous ont condamné à des siècles de souffrance, de malheur, et de noirceur ! Et tout ça à cause de vous, oui vous, pauvres petites races ignares effrayées par notre écrasante supériorité ! Mais nous sommes de retour... Pour votre plus grand malheur !
J'éclate de rire, en proie à une joie sinistre. Autour de moi, les Elfes sont figés de stupeur. Nul n'ose prononcer le moindre mot. Je les défie du regard, pleine de haine et de rage à leur encontre.
Mon adversaire me dévisage, l'air incrédule.
— Wer' ? dit-il d'un ton hésitant.
Je tourne mon regard vers lui et lance avec haine :
— Tu seras le premier à payer !
Je lève mon épée et me précipite sur lui. Il pare d'instinct mon premier coup, mais ils ne peut rien faire contre les suivants. Ma force est décuplée, j'ai soudain l'impression de ne faire qu'une avec mon épée. En deux virevoltes habiles, je désarme mon adversaire. Puis, en un seul coup de taille, je le décapite. Sa tête roule par terre, et rebondit plusieurs fois par terre avec un bruit mat.
A cet instant, je prends conscience de ce que j'ai fait. La rage et la haine disparaissent aussi rapidement qu'elles étaient venues. Je m'effondre au pied du cadavre et me mets à pleurer. Je ne comprenais pas ce qui s'était passé, ça n'avait été qu'un moment d'aveuglement. Je me souvenais de ce que j'avais fait, mais ce n'était pas moi. Ce n'était pas moi... Ça ne pouvait pas être moi...
Je savais que les elfes ne me pardonneraient jamais ce crime. Au-delà d'avoir tué un membre de ma race, ce qui était déjà en soi un crime impardonnable, j'avais porté la main sur mon propre sang.
Je continuais à pleurer, alors que les Elfes s'agitaient soudain autour de moi. Certains criaient, d'autres se lamentaient, le plupart me questionnaient.
Quant à moi, je n'avais d'yeux que pour l'Elfe que j'avais tué.
Mon frère.
L'exil.
Ils n'avaient pas d'autre choix. Mon accès de rage et sa conséquence tragique leur avaient à tous révélé ma vraie nature. Je fus donc expulsé de la communauté elfique, bannie, à jamais.
Je vécus durant de longues années dans les profondeurs de la forêt. Je m'entraînai au maniement de l'épée, et réfléchissait de longues heures durant sur mon passé, mon présent, et mon avenir. Au fur et à mesure que le temps passait, je m'améliorais, et découvrais cette partie de moi-même qui m'avait valu l'exil.
Elle prenait lentement le dessus. Le sang m'était devenu indispensable. A certains moments, lorsque la rage me prenait, j'égorgeais des créatures de mes propres dents et buvais leur fluide vital avidement.
Et surtout, il y avait les rêves... Je faisais toujours le même rêve, chaque nuit. Ce n'étaient que des suites d'images confuses, mais parmi elles il y en avait une de claire.
Une seule.
Une immense araignée, noire comme la nuit, avec des taches d'un jaune sombre éparses. Et un nom : Lolth.
Elle ne prononçait qu'un seul mot :
— Bientôt.
Je n'avais de cesse de m'interroger sur ces rêves. Ils m'obsédaient, je sentais qu'il y avait là une des clefs pour comprendre mon étrange comportement, et, peut-être, un lien avec le passé des Elfes.
A la longue, au bout d'une cinquantaine d'années, ces rêves m'amenèrent à me tourner vers le monde extérieur, que j'avais abandonné depuis fort longtemps, et en réalité presque oublié. Je décidais qu'il me fallait des nouvelles de ce monde, mais je répugnais encore à y remettre les pieds. Non par peur, mais je ne me sentais pas encore prête, tout simplement. Comme si je savais instinctivement que j'avais encore des choses à apprendre, ici, au plus profond de la forêt.
Heureusement, il y avait d'autres moyens d'obtenir des informations...
— Parle ou je te tranche la gorge !
J'appuie mon épée sur le cou de l'humain et m'amuse de son expression affolée.
— Je... Je ne sais rien ! bredouille-t-il.
Un sourire féroce déforme mon visage.
— Que se passe-t-il dans ton monde, misérable larve ? Réponds !
L'humain se passe la langue sur les lèvres.
— Je... Le seigneur Hurius s'est récemment marié à la jeune Elicia !
Je presse davantage la lame contre sa gorge et lance d'un air menaçant :
— Tu crois que ça m'intéresse ? Trouves autre chose !
Il me jette un regard désespéré, puis soudain ses yeux s'illuminent et il s'écrie :
— Les Elfes Noirs !
Ces mots ont sur moi l'effet d'un coup de tonnerre. Je reste pétrifié, l'esprit comme figé par ces paroles. J'ai l'impression de connaître ce nom depuis toujours, et pourtant je sais pertinemment que c'est la première fois que je l'entends.
Mais je me reprends vite, et ordonne à l'humain :
— Dis moi tout ce que tu sais sur eux.
Il obéit, et j'en appris bien plus que je ne l'avais escompté d'un misérable humain. Lorsqu'il m'eut révélé tout ce qu'il savait, et qu'il ne me fût plus d'aucune utilité, je le tuais. Je décidai ensuite de revenir dans le monde des mortels, afin de rencontrer ces Elfes Noirs, qui semblaient si proches d'une part de moi-même, du moins si j'en croyais l'humain.
Je revins donc dans ce monde honni, qui m'avait exilé. Il n'avait pas changé, pas plus que les créatures qui le peuplaient. J'étais emplie d'une haine et d'une envie de vengeance à leur égard qui m'affolait, et en même temps me fascinaient. J'avais conscience d'être bien plus que ce que je pensais. Pas seulement une Elfe.
J'avais finis par comprendre l'histoire des Elfes Noirs, mais je ne voyais pas encore tout ce que cela signifiait. Mon esprit, d'habitude si habile à rassembler les morceaux épars d'un raisonnement, renâclait à la tâche. Je n'étais pas sûre de savoir pourquoi.
Cependant, le Destin – ou Lolth ? - fit bien les choses, et je ne tardai pas à rencontrer un Elfe Noir...
Le scarabée reste immobile tandis que je scrute sa carapace, cherchant une faille où insérer mon épée. Il doit bien y avoir une faiblesse quelque part...
— Hum hum... fait une voix juste derrière moi.
Je parviens de justesse à ne pas sursauter et me retourne lentement. Il est beau. C'est la première pensée qui me vient à l'esprit. Comme... achevé. Parfait.
Je comprends immédiatement que j'ai affaire à un de ces fameux Elfes Noirs.
— Alors... C'est donc cela, un Elfe Noir, dis-je en murmurant.
— En effet, réplique l'Elfe.
— Ça explique beaucoup de choses... dis-je, songeuse.
L'Elfe hausse un sourcil, l'air intrigué.
— C'est-à-dire ?
— Hé bien... Certains rêves que je fais...
Il perçoit mon hésitation et insiste :
— Comme ?
Je grimace, puis réponds avec prudence :
— Une araignée.. Gigantesque... Lolth... Un mot...
— Lequel ?
— Bientôt.
Je fronce les sourcils, puis ajoute :
— Bientôt... La revanche.
Je m'arrête, surprise par mes propres paroles. C'est presque comme si elles me venaient d'elles-même.
— Tu es déjà bien avancé, remarque l'Elfe Noir. Quel est ton nom ?
J'hésite un instant, mais ne tergiverse pas longtemps. Pourquoi ne pas le lui donner ? S'il y a quelqu'un qui peut me comprendre, c'est bien lui.
— Je n'utilise plus mon nom Elfe depuis bien longtemps. On me connaît sous le nom de Werewindle.
L'Elfe hoche la tête.
— Mon nom Elfe, quant à moi, est la seule chose qui me rattache à mon passé. Il faudrait que je songe à le changer...
— Oserez-vous me le donner ?
Il sourit.
— Je me nomme Mahtan Maeghen.
Je lui souris en retour :
— Enchantée de vous connaître.
— Moi de même, réplique-t-il.
Ses yeux se perdent soudain dans le vague. Puis, semblant revenir à la réalité, il me demande :
— Que comptes-tu faire, Werewindle ?
Je le dévisage, hésitante.
— Je sens que je suis liée à cette Lolth et aux Elfes Noirs... Mais je ne sais pas encore de quelle manière.
L'Elfe me sourit.
— Tu le découvriras. Bientôt, ajoute-t-il d'un ton ironique.
Il m'observe quelques instants, puis reprends :
— Lorsque tu te sentiras prête, viens me trouver. Nous verrons alors si tu es vraiment ce que tu soupçonnes être.
Il sourit une dernière fois, puis me salue de la tête et s'éloigne à grand pas vers le fort d'Hibernia, me laissant seule avec mes pensées.
Cette rencontre a éveillé l'Elfe Noir en moi. Je perçois à présent ce qui se joue. Les enfants doivent payer pour les crimes de leurs parents, qui jadis, par leur jalousie et leur haine, nous exilèrent dans les profondeurs du monde.
La vengeance, disent les humains, est un plat qui se mange froid. J'estime qu'en quelques milliers d'années, il a eu largement le temps de refroidir.
L'heure de la vengeance a sonné.
Mon esprit est une lame, oui. Une lame à double tranchant. Et bientôt, très bientôt, elle sera à nouveau ensanglantée.
Mon esprit est une lame. Deux faces dans mon âme.
L'une violente, sauvage, orgueilleuse. Presque irréelle. L'autre sage, mesurée, éclairée. Quoi de plus normal pour une elfe ?
Ces deux parties de moi-même se combattent violemment, sans relâche. Prennent tour à tour le dessus.
Mais commençons par le commencement.
Mon enfance...
Elle ne fut qu'une progressive et douloureuse prise de conscience de cette dualité. Petite déjà, je prenais plaisir à voir la souffrance. La provoquer. La maîtriser. Je ne pouvais m'empêcher de torturer des animaux durant de longues heures, seule, dans un coin reculé des forêts hiberniennes. Je finissais toujours par les tuer, me délectant du rouge de leur sang. Plaisir esthétique, bien sûr.
Une autre partie de moi-même combattait ces pulsions. J'avais conscience que ce que je faisais était mal. Répréhensible. Du moins selon les standards de la société elfique. J'avais été élevée dans un idéal de paix et de sagesse, non de violence. Les Elfes protègent la nature, ils ne la détruisent pas. Or c'était la destruction qui m'attirait. La souffrance, le feu, la violence me fascinaient.
Je m'efforçais de dissimuler cette part de moi-même. Lorsque je m'enfonçais dans la forêt, c'était toujours seule, et tous croyait que c'était pour m'entraîner au maniement de l'épée sans que personne ne me vît. Je mentais pour préserver mon secret. Ma malédiction.
Au fur et à mesure que je grandissais, ce conflit se développa en moi. Il atteignit son paroxysme lors d'une chaude journée d'été...
— Aurais-tu peur, Wer' ?
— Peur, moi ?
Je me mets à rire.
— Tu aimerais bien !
Il éclate à son tour d'un rire amical et prend position, sa lame tendue devant lui, prêt à toute éventualité. Je dégaine mon épée et l'imite.
— Vas-y, Wer' ! me lance joyeusement un des jeunes Elfes qui nous entourent.
Je souris et fait virevolter mon épée. Simple bravade.
— Tu crois pouvoir y arriver ? me demande mon adversaire d'un ton ironique.
Pour toute réponse, j'attaque brusquement. L'Elfe dévie ma lame sans difficulté – comme je m'y attendais -, et le combat commence. Ce n'est qu'un duel amical, bien sûr. Il ne s'agit pas de tuer son adversaire, mais de le blesser suffisamment pour qu'il s'avoue vaincu.
Pendant quelques minutes, je m'efforce de déjouer ses attaques, et n'en porte moi-même que quelques-unes. Je connaissais son style, et savais qu'il préférait dépenser toutes ses forces dès le début du combat, afin de fatiguer son adversaire – de le pousser à faire une faute.
Je restais donc calme, concentrée, l'esprit tout entier tourné vers le combat. Au bout d'un moment, je quitte mon style défensif et commence à attaquer. Mon adversaire, remarquant ce changement, se met à sourire. Il me connaît bien.
Soudain, son épée, d'un étrange mouvement sinuant, écarte ma lame et passe sous ma garde. Je me jette en arrière.
Trop tard. L'acier trace une fine ligne sanglante sur ma joue droite, puis se retire.
Je grimace, romps l'engagement et porte ma main à ma joue. Ce n'est qu'une égratignure, mais je ne peux m'empêcher de ressentir de la colère. Injustifiée, me souffle une partie de mon esprit.
Mon adversaire me sourit.
— On dirait que les Dieux t'ont abandonné, Wer'... ironise-t-il.
Ces paroles déclenchent ma fureur, réveillant la part de moi-même que j'étais parvenu à tenir à distance jusque là.
— Les dieux ! craché-je. Ils nous ont exilés dans les profondeurs obscures, ils nous ont condamné à des siècles de souffrance, de malheur, et de noirceur ! Et tout ça à cause de vous, oui vous, pauvres petites races ignares effrayées par notre écrasante supériorité ! Mais nous sommes de retour... Pour votre plus grand malheur !
J'éclate de rire, en proie à une joie sinistre. Autour de moi, les Elfes sont figés de stupeur. Nul n'ose prononcer le moindre mot. Je les défie du regard, pleine de haine et de rage à leur encontre.
Mon adversaire me dévisage, l'air incrédule.
— Wer' ? dit-il d'un ton hésitant.
Je tourne mon regard vers lui et lance avec haine :
— Tu seras le premier à payer !
Je lève mon épée et me précipite sur lui. Il pare d'instinct mon premier coup, mais ils ne peut rien faire contre les suivants. Ma force est décuplée, j'ai soudain l'impression de ne faire qu'une avec mon épée. En deux virevoltes habiles, je désarme mon adversaire. Puis, en un seul coup de taille, je le décapite. Sa tête roule par terre, et rebondit plusieurs fois par terre avec un bruit mat.
A cet instant, je prends conscience de ce que j'ai fait. La rage et la haine disparaissent aussi rapidement qu'elles étaient venues. Je m'effondre au pied du cadavre et me mets à pleurer. Je ne comprenais pas ce qui s'était passé, ça n'avait été qu'un moment d'aveuglement. Je me souvenais de ce que j'avais fait, mais ce n'était pas moi. Ce n'était pas moi... Ça ne pouvait pas être moi...
Je savais que les elfes ne me pardonneraient jamais ce crime. Au-delà d'avoir tué un membre de ma race, ce qui était déjà en soi un crime impardonnable, j'avais porté la main sur mon propre sang.
Je continuais à pleurer, alors que les Elfes s'agitaient soudain autour de moi. Certains criaient, d'autres se lamentaient, le plupart me questionnaient.
Quant à moi, je n'avais d'yeux que pour l'Elfe que j'avais tué.
Mon frère.
L'exil.
Ils n'avaient pas d'autre choix. Mon accès de rage et sa conséquence tragique leur avaient à tous révélé ma vraie nature. Je fus donc expulsé de la communauté elfique, bannie, à jamais.
Je vécus durant de longues années dans les profondeurs de la forêt. Je m'entraînai au maniement de l'épée, et réfléchissait de longues heures durant sur mon passé, mon présent, et mon avenir. Au fur et à mesure que le temps passait, je m'améliorais, et découvrais cette partie de moi-même qui m'avait valu l'exil.
Elle prenait lentement le dessus. Le sang m'était devenu indispensable. A certains moments, lorsque la rage me prenait, j'égorgeais des créatures de mes propres dents et buvais leur fluide vital avidement.
Et surtout, il y avait les rêves... Je faisais toujours le même rêve, chaque nuit. Ce n'étaient que des suites d'images confuses, mais parmi elles il y en avait une de claire.
Une seule.
Une immense araignée, noire comme la nuit, avec des taches d'un jaune sombre éparses. Et un nom : Lolth.
Elle ne prononçait qu'un seul mot :
— Bientôt.
Je n'avais de cesse de m'interroger sur ces rêves. Ils m'obsédaient, je sentais qu'il y avait là une des clefs pour comprendre mon étrange comportement, et, peut-être, un lien avec le passé des Elfes.
A la longue, au bout d'une cinquantaine d'années, ces rêves m'amenèrent à me tourner vers le monde extérieur, que j'avais abandonné depuis fort longtemps, et en réalité presque oublié. Je décidais qu'il me fallait des nouvelles de ce monde, mais je répugnais encore à y remettre les pieds. Non par peur, mais je ne me sentais pas encore prête, tout simplement. Comme si je savais instinctivement que j'avais encore des choses à apprendre, ici, au plus profond de la forêt.
Heureusement, il y avait d'autres moyens d'obtenir des informations...
— Parle ou je te tranche la gorge !
J'appuie mon épée sur le cou de l'humain et m'amuse de son expression affolée.
— Je... Je ne sais rien ! bredouille-t-il.
Un sourire féroce déforme mon visage.
— Que se passe-t-il dans ton monde, misérable larve ? Réponds !
L'humain se passe la langue sur les lèvres.
— Je... Le seigneur Hurius s'est récemment marié à la jeune Elicia !
Je presse davantage la lame contre sa gorge et lance d'un air menaçant :
— Tu crois que ça m'intéresse ? Trouves autre chose !
Il me jette un regard désespéré, puis soudain ses yeux s'illuminent et il s'écrie :
— Les Elfes Noirs !
Ces mots ont sur moi l'effet d'un coup de tonnerre. Je reste pétrifié, l'esprit comme figé par ces paroles. J'ai l'impression de connaître ce nom depuis toujours, et pourtant je sais pertinemment que c'est la première fois que je l'entends.
Mais je me reprends vite, et ordonne à l'humain :
— Dis moi tout ce que tu sais sur eux.
Il obéit, et j'en appris bien plus que je ne l'avais escompté d'un misérable humain. Lorsqu'il m'eut révélé tout ce qu'il savait, et qu'il ne me fût plus d'aucune utilité, je le tuais. Je décidai ensuite de revenir dans le monde des mortels, afin de rencontrer ces Elfes Noirs, qui semblaient si proches d'une part de moi-même, du moins si j'en croyais l'humain.
Je revins donc dans ce monde honni, qui m'avait exilé. Il n'avait pas changé, pas plus que les créatures qui le peuplaient. J'étais emplie d'une haine et d'une envie de vengeance à leur égard qui m'affolait, et en même temps me fascinaient. J'avais conscience d'être bien plus que ce que je pensais. Pas seulement une Elfe.
J'avais finis par comprendre l'histoire des Elfes Noirs, mais je ne voyais pas encore tout ce que cela signifiait. Mon esprit, d'habitude si habile à rassembler les morceaux épars d'un raisonnement, renâclait à la tâche. Je n'étais pas sûre de savoir pourquoi.
Cependant, le Destin – ou Lolth ? - fit bien les choses, et je ne tardai pas à rencontrer un Elfe Noir...
Le scarabée reste immobile tandis que je scrute sa carapace, cherchant une faille où insérer mon épée. Il doit bien y avoir une faiblesse quelque part...
— Hum hum... fait une voix juste derrière moi.
Je parviens de justesse à ne pas sursauter et me retourne lentement. Il est beau. C'est la première pensée qui me vient à l'esprit. Comme... achevé. Parfait.
Je comprends immédiatement que j'ai affaire à un de ces fameux Elfes Noirs.
— Alors... C'est donc cela, un Elfe Noir, dis-je en murmurant.
— En effet, réplique l'Elfe.
— Ça explique beaucoup de choses... dis-je, songeuse.
L'Elfe hausse un sourcil, l'air intrigué.
— C'est-à-dire ?
— Hé bien... Certains rêves que je fais...
Il perçoit mon hésitation et insiste :
— Comme ?
Je grimace, puis réponds avec prudence :
— Une araignée.. Gigantesque... Lolth... Un mot...
— Lequel ?
— Bientôt.
Je fronce les sourcils, puis ajoute :
— Bientôt... La revanche.
Je m'arrête, surprise par mes propres paroles. C'est presque comme si elles me venaient d'elles-même.
— Tu es déjà bien avancé, remarque l'Elfe Noir. Quel est ton nom ?
J'hésite un instant, mais ne tergiverse pas longtemps. Pourquoi ne pas le lui donner ? S'il y a quelqu'un qui peut me comprendre, c'est bien lui.
— Je n'utilise plus mon nom Elfe depuis bien longtemps. On me connaît sous le nom de Werewindle.
L'Elfe hoche la tête.
— Mon nom Elfe, quant à moi, est la seule chose qui me rattache à mon passé. Il faudrait que je songe à le changer...
— Oserez-vous me le donner ?
Il sourit.
— Je me nomme Mahtan Maeghen.
Je lui souris en retour :
— Enchantée de vous connaître.
— Moi de même, réplique-t-il.
Ses yeux se perdent soudain dans le vague. Puis, semblant revenir à la réalité, il me demande :
— Que comptes-tu faire, Werewindle ?
Je le dévisage, hésitante.
— Je sens que je suis liée à cette Lolth et aux Elfes Noirs... Mais je ne sais pas encore de quelle manière.
L'Elfe me sourit.
— Tu le découvriras. Bientôt, ajoute-t-il d'un ton ironique.
Il m'observe quelques instants, puis reprends :
— Lorsque tu te sentiras prête, viens me trouver. Nous verrons alors si tu es vraiment ce que tu soupçonnes être.
Il sourit une dernière fois, puis me salue de la tête et s'éloigne à grand pas vers le fort d'Hibernia, me laissant seule avec mes pensées.
Cette rencontre a éveillé l'Elfe Noir en moi. Je perçois à présent ce qui se joue. Les enfants doivent payer pour les crimes de leurs parents, qui jadis, par leur jalousie et leur haine, nous exilèrent dans les profondeurs du monde.
La vengeance, disent les humains, est un plat qui se mange froid. J'estime qu'en quelques milliers d'années, il a eu largement le temps de refroidir.
L'heure de la vengeance a sonné.
Mon esprit est une lame, oui. Une lame à double tranchant. Et bientôt, très bientôt, elle sera à nouveau ensanglantée.