Chroniques d'une Oréthorniène

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Eawith
Gros Nioubi
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Chroniques d'une Oréthorniène

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Chroniques d'une Oréthorniène
Introduction
Par Eawith

Je suis née dans la souffrance. Celle qui m’a collé au corps toute ma courte vie et qui me suis aujourd’hui encore. Ma mère peina énormément à me donner la vie ; l’accouchement fut long et difficile. C’était une femme courageuse, mais faible et elle ne s’en est jamais vraiment remise. C’est pourquoi je suis la seule à pouvoir perpétrer le sang de notre famille sans nom. Cependant, elle parvint à trouver le courage d’élever un autre enfant : Sirhte, mon frère de lait. Un orphelin, découvert dans sa maison, seul, après le massacre de ses parents, dans des circonstances qui me restent obscures.

Nous vivions dans une ferme, non loin du grand fort de Midgard. Nos terres n’étaient pas vastes, mais elles rapportaient suffisamment pour nous assurer un quotidien relativement confortable, malgré le dur labeur qu’était celui du travail aux champs. La vie y était paisible, grâce à la présence du fort, situé à quelques lieues à peine, qui nous garantissait la sécurité. De ce fait, les guerres nous paraissaient si lointaines ! Pour nous, le village d’Emblème était déjà presque le bout du monde…

Nous avions tort.

J’ai appris, à mes dépens semble-t-il, qu’une guerre n’ensanglante pas qu’une région, mais bien souvent le pays en entier. C’est une réaction en chaine ; la violence amène le sang, le sang amène la vengeance, la vengeance amène le meurtre. J’avais une douzaine d’années, cet hiver-là, quand, arrivée à Emblème pour vendre quelques produits de la ferme, ma curiosité et mon insouciance me poussèrent à continuer ma route.

Les histoires sont souvent pires que la réalité : les ogres ne mangent pas vraiment les enfants, les sorcières n’enlèvent pas les petites filles. Mais cette réalité-là était bien pire que toutes les histoires que l’on m’avait racontées. Au delà de la Grande Ville, je ne vis que la douleur, la souffrance, le sang et la mort. Pas la mort bienheureuse, qui cueille paisiblement le vieillard à la fin de sa vie… Non, cette mort horrible qui emmène les combattants les plus valeureux, qui déchire des familles, crée des veuves et affame des enfants. Non, cette mort qui pille et qui viole.

Je fis faire demi-tour à mon brave cheval de trait, foudroyée jusqu’au plus profond de mon âme par la monstruosité de cette vision. J’avais voulu voir, j’avais vu, entendu et senti la guerre. Ma mère raconte qu’après ce jour là, je ne fus plus jamais pareille.
J’ai passé les semaines suivantes dans une sombre léthargie, aucun des guérisseurs et shamans qu’appelèrent mes parents ne purent me sortir de ma torpeur. Je finis par le faire naturellement, encore bouleversée. J’avais souffert d’être impuissante devant ce massacre, et je m’étais alors jurée de ne plus jamais l’être.
C’est à cette époque, dit ma mère, que j’ai commencé à vouloir voyager, voir le monde et que je suis partie chasser avec mon père pour la première fois. C’était ma seule façon d’apprendre à manier les armes, et je nourrissais le faible espoir d’apprendre ainsi à me défendre, moi ou quelqu’un d’autre, si je me retrouvais un jour dans un conflit.
Je n’ai reçu aucun entrainement martial. Mon père m’a appris ce qu’il savait des armes, dans le seul but de nourrir ma famille. C’était un homme rigoureux et discipliné, ce qui faisait de lui un archer remarquable. Il a tenté de me faire suivre ses traces, mais il a rapidement compris que c’était peine perdue. La fougue et la hargne qui déjà m’habitaient, m’empêchaient simplement de décocher mes flèches avec la précision nécessaire.

Il me mit alors entre les mains deux instruments barbares, qui ne se manient ni avec grâce, ni avec finesse. J’en ai été quelque peu déçue, au moment même, mais à présent, cela ne me surprend plus. Qu’aurais-je fait d’une élégante rapière ? Armée de mes haches, je l’assistais avec efficacité dans ses chasses et aujourd’hui, je tente d’élever ma maîtrise au rang d’un art… Mais il me reste bien du chemin à parcourir.

La jeune fille ouverte et rieuse que j’étais autrefois à bel et bien disparu. Je revois parfois avec nostalgie cette insouciance, l’innocence de ne pas savoir ce qui se passe au dehors. Mais pour rien au monde, je ne voudrais revenir à ce que j’étais, il y a dix ans.
Peu à peu, alors que nous grandissions, Sirhte et moi avons commencé à nous rapprocher du fort. Lui, apprenti shaman, moi, apprentie chasseresse, l’envie nous prenait d’aller vivre nos propres expériences. Je me souviens encore de la première fois où nous nous y sommes rendus. Je ne devais pas avoir plus de 16 ans, je pense. L’immense bâtiment nous surplombait…
Je ne sais pas ce qu’il a ressenti, mais voir cette fortification devant moi m’a rappelé toutes les horreurs auxquelles j’avais assisté. Me sont venues alors, bon nombre de questions existentielles, enflammées par mon idéalisme. Je me suis sentie envahie d’un immense désir de lutter contre cette force qui rendait cette forteresse essentielle. Puis-je rêver d’une terre de champs et de villages, de villes et de bourgs, sans plus de murs ? Je pense que ce n’est qu’un songe, une illusion, mais depuis ce jour, je me suis jurée de vivre pour cette idée.

Ma mère, elle, désespérait de me voir ainsi. Elle, si fatiguée par son existence, qui rêvait d’une fin de vie paisible, chez son unique fille, mariée à un humble fermier des environs… Je honnis cette idée. Je rêve d’aventure, d’une grande destinée, je veux vivre ce pour quoi je suis faite, quitte à abandonner ma vie d’antan. Ne comprennent-ils pas que c’est pour eux également, que je veux faire ces choix ? Peut importe la difficulté et le temps que je vais prendre, mais je sais que je les ferais, un jour.
Les années passèrent, Sirhte et moi nous impliquions toujours plus dans la vie du fort. Ce lieu qui m’avait tant dégoutée de prime abord devenait presque ma seconde maison. Je m’y rendrais dés que ma présence à la ferme n’était pas primordiale. J’y revendais le produit de mes chasses, aidais ceux qui en avaient besoin. Je me sentais relativement bien, à cette époque. Le fait d’œuvrer pour le bien d’autres, était reposant pour ma conscience, meurtrie par les mains ensanglantées de mes pairs. Je crois que si rien ne s’était passé, je m’y serais installée définitivement.

Cependant, alors que l’idée de m’installer au fort m’obsédait de plus en plus, vint une nouvelle souffrance à laquelle je ne m’attendais absolument pas. Un soir d’hiver, alors que je rentrais à la ferme, je fus surprise d’y trouver ma mère seule et inquiète. Mon père était parti chasser et n’était toujours pas rentré. Une série de visions d’horreur me traversa, mais je la refoulai. Après tout, il n’était pas rare qu’il parte en chasse plusieurs jours. Pourtant, une petite voix me murmurait que jamais il n’eut été assez imprudent pour passer une nuit dehors, au beau milieu de l’hiver. Cette nuit-là, je fus incapable de trouver le sommeil.

Il ne rentra jamais.

Je ne sais ce qui lui est arrivé. Malgré les nombreuses battues, on ne retrouva ni sa trace, ni son corps, ni ses armes, rien… Il s’était comme volatilisé. Avait-il succombé à quelque vile tentation ? Son corps fut-il déchiré, une nuit, par une meute de loups affamés ? N’aurait-on, alors, retrouvé sa dépouille ?
Si la plus grande souffrance est l’ignorance, c’est sa présence psychologique qui fut le plus grand vide. Mon père était un homme droit et juste. Ni corrompu, ni brillant chevalier, il ne répandait pas une aura de bonté sur son passage, mais il ne fit jamais de mal à quelqu’un. Chasseur dans l’âme, il avait un sens de la justesse et de l’à-propos tel que je n’en ai jamais rencontré chez un autre. Il m’a enseigné bon nombre des valeurs que je chéris aujourd’hui ; la justesse, la droiture, l’honneur, … Je regrette de ne pas avoir la même discipline de fer que lui. Il désespérait si souvent face à ma hargne et ma fougue incontrôlée… J’avais beaucoup de respect pour lui. Non pas le respect qu’on a pour un père, mais pour un homme plein de la sagesse issue de ses expériences, un homme modeste, mais bien plus sensé que d’autres, aux titres imposants.
Pour honorer sa mémoire, j’ai appris à ne respecter que l’homme qui le mérite. Peut m’importe son titre, son rang, sa puissance, je préfère me prosterner aux pieds d’un paysan illettré mais droit et sage, plutôt que devant un roi aliéné et injuste. Je n’hésiterai pas à m’opposer à celui qui me donnera des ordres sans en avoir gagné le droit. Même si je dois en subir les conséquences

La disparition de mon père, outre l’immense tristesse qui affligea notre famille, posa un problème. Il avait toujours tenu la ferme, chassé, tout en même temps, presque seul. Nous eûmes au début bien du mal à nous organiser correctement. Ma mère évoqua souvent l’idée de vendre la ferme, et de partir s’installer ailleurs, mais il y eut toujours quelqu’un pour s’opposer à cette idée, en souvenir de mon père, et du labeur quotidien qu’il y effectuait. Chaque jour vécut là-bas, sans lui, était comme une épine dans le pied. Ni vraiment douloureuse, ni totalement inexistante.

Dès lors, Sirhte repris le labour de nos petites parcelles, et j’entrepris de tenir la chasse à mon compte. C’était une chasse ardue, pour moi qui n’avait jamais été que chasseresse occasionnelle et assistante de mon père, mais surtout parce que marcher sur ses pas, à demi effacés par le temps, pour traquer les mêmes proies, aux mêmes endroits…
Je choisis de partir pour des chasses plus longues, car plus lointaines ; au-delà d’Emblème et de la Grande Ville… Là même où, âgée de douze malheureuses années, j’avais vu la guerre en face. Obligée de chasser dans la discrétion, afin de ne pas me retrouver mêlée aux incessantes escarmouches que les clans se tendaient, je rentrais toujours plus épuisée par ces conflits que je jugeais inutiles.

Sirhte, lui, s’inquiétait de me voir aller si loin, seule. Depuis notre plus tendre enfance, nous vivions ensemble, nous voyagions ensemble, nous souffrions ensemble… Et un matin, à l’aube, alors que je quittais la ferme, j’eus la surprise de le voir sur le chemin. Il m’attendait et avait décrété qu’il ne me laisserait plus partir seule. J’ai protesté assez longtemps pour voir le soleil envahir le ciel, puis je me suis laissée convaincre. Il se disait être mon protecteur, lui, l’apprenti shaman, protecteur de la chasseresse solitaire ! Mais au fond, j’étais contente qu’il m’assiste, nous étions plus efficace ensemble et deux paires d’yeux étaient plus vigilantes qu’une seule.

Du moins, j’étais contente, jusqu’au jour de cette fameuse chasse au lynx. Nous les avions suivis deux jours durant, avant de nous décider à passer à l’attaque. La horde se trouvait non loin d’une route assez fréquentée, autant par des marchands que des troupes de cavaliers en armes. L’inquiétude est un lourd poids sur les épaules d’un chasseur, pourtant, nous n’y prêtâmes pas attention, la fourrure de ces lynx se vendait si bien, et leur chair pouvait nourrir une famille pour plusieurs semaines…
Quand j’ai vu la poursuite qui s’engageait sur la route que nous voyions en contrebas, je me suis raidie. Quand j’ai vu les lames sanglantes aux mains des guerriers, j’ai senti la crainte m’envahir doucement, insidieuse. Quand j’en ai vu deux d’entre eux se diriger vers nous, et porter un premier coup à mon frère, je fus pétrifiée de terreur. Je me voyais déjà responsable de sa mort, et je pouvais comme apercevoir une faux planant au dessus de ma propre tête… Puis j’ai réalisé que le second guerrier n’attaquait point Sirhte, mais celui que je croyais être son compagnon. Le temps d’un battement de cils, tout était fini. Le premier combattant était étendu dans une mare écarlate, alors que le second se tenait devant nous, pacifique.

C’est ainsi que j’eus mon premier contact avec le peuple Oréthornien. L’homme s’appelait Marchas. Discuter avec lui fut fort instructif ; son peuple chérit des idéaux qui rejoignent les miens, ils semblent œuvrer pour la venue d’une nouvelle ère… A la fin de son laïus, il nous emmena, Sirhte et moi, par delà les mers, sur une île presque vierge de toute présence humaine. Ce havre de paix, au silence uniquement troublé par la rumeur des déferlantes était l’endroit destiné au renouveau, à un nouveau départ…
J’ai rencontré d’autres clans, d’autres peuples, j’ai entendu certaines choses, j’en ai vu d’autres. Les Inishails sont des couards, certains Croisés semblent tant aliénés qu’assoiffés du sang des innocents, on dit des Satanistes qu’ils sont le mal incarné… Mais je n’ai pour ainsi dire jamais entendu parler des Oréthorniens, ni en bien, ni en mal… Qui sont-ils vraiment ?

La curiosité et l’envie m’ont envahies. Je crois que Sirhte craint de me voir partir avec eux, et ce ne serait pas illégitime. Ils me semblent être des gens de bien, ni corrompus, ni innocents, mais probablement bien plus sensés que d’autres, plus neutres. On dit qu’on ne peut pas faire de guerre sans massacrer des innocents, mais j’ai l’impression qu'au sein de leur peuple, cette vérité n'a pas sa place.
Il y a quelques jours, j’ai rencontré une Dame Oréthorniène, du nom d’Atlantha. Son calme et sa sagesse m’ont rappelé feu mon père… Sa parole m’a donné de la force, la force de renoncer à tant de choses… Mais est-ce vraiment une renonciation, si on le fait pour ses idéaux ? Aujourd’hui, c’est en repensant à elle et au respect qu’elle m’inspire, que je redresse la tête, pleine d’une loyauté nouvelle. Aujourd’hui, la fleur s’épanouit et… Oui, cette fleur est Oréthorniène.
Eawith
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Chapitre 1: Changements
Par Eawith

C’est une chose étrange, que de renoncer à son peuple, à sa vie, à ce que l’on est, pour rejoindre un autre peuple, endosser de nouvelles couleurs et devenir quelqu’un de différent… Quand, seule en tête à tête avec le coucher de soleil, je médite, je me rappelle ce matin où je revis Atlantha, à Emblème. J’étais sure de mon choix, alors. Les événements s’étaient succédés, et j’y avais réagi comme par automatisme. Une discussion surprise à Emblème, un rapport fait aux Oréthorniens, une mission qui m’avait été confiée… Je leur était déjà loyale avant même de les avoir rejoints. Il m’a semblé que ma décision était déjà prise, mon chemin tout tracé, alors que j’étais encore en plein débat avec moi-même.

Voilà pourquoi j’ai rejoins Atlantha, ce matin-là. Je voulais intégrer le peuple. Je voulais qu’il devienne mon peuple, qu’ils deviennent mes frères… Ma famille. Elle m’a accueillie comme une de ses sœurs oréthorniènes. Je n’en fus ni heureuse, ni honorée, ni comblée. Ce que je ressentis quand elle prononça ces mots est simplement indescriptible. A présent, j’avais une place. Je n’étais plus Eawith, simple fille de ferme et chasseresse à ses heures… Non, j’étais devenue Eawith, jeune chasseresse oréthorniène, qui allait pouvoir réaliser ses idéaux et combattre pour la vie et l’honneur d’un peuple, de son peuple. Ma loyauté envers eux est sans bornes.
Je continuai, donc, la mission que m’avait confié Marchas cette nuit-là, lors d’une réunion d’urgence dans la forêt d’Avalon. Malgré sa dangerosité, je l’avais acceptée sans une hésitation, car elle n’était que le prolongement de ce que j’avais déjà fait. Outre les dangers, cette quête était complexe et je regrette d’avoir tant de mal à la mener à bien. Je ne trouve que rarement ceux à qui je dois parler, mes actions stagnent...

Cependant, depuis que j’ai retourné les archives oréthorniènes afin de retracer leur histoire, je me sens rassérénée. J’y ai découvert autant de réussites que d’échecs, la preuve qu’ils ne sont un peuple héroïque. Mais au travers des écrits, des légendes de leurs prédécesseurs, je me rends compte combien ils sont invincibles. Malgré les guerres perdues et les exodes, les trahisons et les erreurs, ils n’ont jamais été vaincus. Les descendants d’Oréthorne sont toujours là, après tant d’années et tant d’ennemis, maintenus en vie par cet extraordinaire mélange de cultures renforcé du patriotisme qui les caractérise.
Je ne puis dire à quel point je suis fière d’annoncer que c’est également mon peuple. J’attends avec impatience le jour où je pourrais arborer nos couleurs et l’aigle de Carn. Ce sont les miens, je suis leur, nous sommes nôtre. A tout jamais.



Chapitre 2 : Regrets, Exode.
Par Eawith

Je… Je ne puis trouver les mots, encore, pour trouver ce que j’ai ressenti. Je peine à l’écrire, et chaque fois que je prends ma plume, je suis tentée de la reposer et de l’abandonner. Il est temps de passer outre cette souffrance pourtant si vive, car bien trop de choses sont en marche, et je vais avoir besoin de toute ma force, de toutes mes illusions. Mais le souvenir de ce moment, succession d’images sans liens, m’arrache encore des larmes. Le bonheur, d’abord, de revoir Sirhte après tant de jours, la crainte, ensuite, face à son discours qui sonnait comme des excuses… Puis la destruction. La souffrance. Le regret. La tristesse. Le gouffre. La fin. Je n’étais pas préparée à ses mots.

- Elle est partie, Ea. Je n’ai rien pu faire.

Partie, alors que je n’étais pas là pour lui rendre un dernier hommage. Je m’étais envolée, sur le vent de mes idéaux, persuadée qu’elle serait toujours là… Je suis partie un matin, sure que j’allais revenir bientôt. Je ne suis pas revenue, pas assez vite… Je crois… Je crois que ce jour là, je ne lui ai même pas dit au revoir…
Et les jours passèrent, dans un brouillard de tristesse alors que, péniblement, je tentais de faire mon deuil. Je recommençais seulement à ouvrir les yeux sur le monde, le cœur encore tout serré de douleur, quand je vis Lyth, à Emblème. Cette étrange elfe avec qui j’avais passé de longues soirées à discuter de rien. Ses questions et sa vision de la vie m’intriguaient et m’apaisaient en même temps. Je me suis installée au près d’elle, à la taverne, dans l’espoir de tout oublier, le temps d’un moment.

Je n’aurais pas dû.

Ce soir-là, elle parlait de survie et de destruction du monde. Nous ne nous parlions pas depuis longtemps quand il est arrivé. Troll immense, dans une armure de fer rougeoyant, s’accompagnant d’un bouclier au centre duquel trônait… un œil. Sa simple vue m’effrayait et me dégoutait à la fois. Il entra soudainement dans la conversation, brute, agressif. Il tenta d’ouvrir mes yeux de « sac de sang » ainsi qu’il me nommait. Je devais le suivre, afin d’être sauvée, de voir mon chemin prolongé… Encerclée par lui et ses acolytes, je me sentais attaquée de toutes parts alors qu’il m’accusait de chérir des illusions vaines, de perdre mon temps. Leur désir de se raccrocher à la vie, quel qu’en soit le prix, me parut faiblesse. Pathétiques, chacun de notre côté, nous nous jaugions. Enfin, à peu près… J’étais incapable de croiser son regard démoniaque. Enfin, il partit… Me laissant subir le harcèlement de sa suite. Mais mes idéaux sont trop présents. Lyth, Sanctuary, Inconnus, pourquoi n’avez-vous donc pas compris que je suis déjà sauvée ? Je l’ai été, ce jour où j’ai rencontré les Oréthorniens pour la première fois. Lassée de leurs attaques, je quittais Emblème au galop et me rendais en Evea.

Là, face à la mer, les yeux plongés dans le lointain, je m’étais abandonnée à la méditation. Submergée par les émotions, j’avais besoin de me calmer, de me retrouver. Je n’en eus pas le loisir. Le paisible lointain se troubla bientôt, alors que des grondements déchiraient le ciel. Ce ciel, celui d’Avalon devint rouge et le pourpre céleste s’étendit bientôt en ma direction. Prise de panique, je me fis violence et marchais calmement vers le Temple. Je m’installai en son centre, à même le sol et fermai les yeux. Le geste était vain, mais je voulais tromper ma panique en ce lieu où murmurent les légendes et l’Histoire de mon peuple.

Je dus perdre connaissance, car je rouvrais les yeux sur une terre inconnue. Le choc m’étouffa un instant, et je restais assise là, sur la pierre froide, trop choquée, même, pour pleurer. Je ne sais combien de temps s’écoula avant que le bruit des sabots d’un cheval ne m’interpelle. Au détour d’un chemin, apparurent Marchas et l’Aigle de Carn. Pleine d’un espoir nouveau à la vue de ce symbole, je le suivis rapidement, dans le silence qu’il m’intima.
Mon peuple avait pris possession d’un fort, à l’est, où il s’était réuni. Ils m’apprirent que les démons s’étaient rués sur Avalon et qu’ils avaient réapparus ici. Tout le monde courrait, les ordres fusaient, l’inquiétude était palpable. Perdue dans ce tumulte, toutes mes émotions refoulées tentèrent de m’envahir à nouveau.

- Eawith, rends toi dans un village au sud de l’endroit où je t’ai trouvée et ramène nous de quoi protéger ce fort.
La voix de Marchas avait résonné à mes oreilles et par ces ordres, il me donnait la force de ne pas céder. Puissante d’une détermination éphémère, j’acquiesçai.
- Et revient vite, à la maison…
- Oui, à la maison… A la maison.

Je pense que ma voix lorsque je lui répondis, ne fut qu’un tremblotant murmure. Cependant, j’enfourchai un coursier et quittai le fort à bride abattue. Obsédée par une seule idée… Rentrer à la maison.
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