[BG]Selina

L'histoire d'Amtenaël
Selina
Gros Nioubi
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Joined: 24 Jun 2007, 17:47
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Elle prit une longue inspiration. Tout était là, bien réuni pour l'occasion. Elle enleva lentement ses gants qui cachaient ses mains abîmées, et les posa avec précaution, à côté d'elle.

Le corps gisait là. Il était calme, le visage serein, en apparence endormi. Deux fleurs sur ses yeux, maigre offrande pour passer dans l'au-delà. Elle se mordit la lèvre inférieure, et se résigna à les retirer.

"Tu n'en auras plus besoin, maintenant. Tu vas revenir, je te le promets…"

Seule, elle s'agenouilla près du corps. Les larmes roulaient sur ses joues basanées alors qu'elle déposait les deux fleurs délicatement près d'elle. Elle jeta un regard circulaire sur cette cabane où elle vivait seule depuis quelques années. Ses yeux tombèrent sur le parchemin usé qu'elle saisit pour relire une dernière fois les caractères griffonnés à la hâte. Mentalement, elle repassa dans sa tête les étapes de l'incantation. Les larmes coulaient de plus belle alors qu'elle reposa le rouleau de peau tannée par terre. Elle passa les doigts sur le cercle incantatoire incrusté dans le sol meuble de la maison. Le soleil réapparu soudain, et un rayon se déposa sur le visage du mort, l'illuminant d'une aura irréelle. Calmement, mais la peur au ventre, elle commença à réciter la formule consacrée, les mains jointes. Le cercle magique s'illumina d'une lueur violette.

"Pardonne-moi, maman... Mais il le faut..."

Dans sa tête, le vide se fit…

Quelque part, dans le désert, à la limite des terres d'Albion et de l'Île d'Avalon…


"Laissez-la! Arrêtez, ne lui faites pas de mal!"

Le cri spontané avait jailli de la gorge du jeune Sarrasin. Il serra les poings et s'avança vers les deux hommes encapuchonnés qui tenaient Selina par les bras, tentant de la maîtriser. Elle se débattit avec rage, pas vraiment disposée à se faire violenter sans réagir.

"Tu comptes faire quoi, paysan?! Nous chatouiller avec ton bout de fer rouillé, peut-être?"

Un rire gras s'en suivit, et l'homme qui avait prononcé ces paroles découvrit une rangée de dents pourries.

"Je ne vais pas vous laisser faire! V-v-venez vous battre!"

"Allons allons, tu vois bien que tu ne peux rien faire… Laisse, et tout sera fini rapidement… Elle ne sentira rien…"


L'autre lui lança un sourire pervers. Le jeune Sarrasin, la lame tremblante, fit un pas en avant. L'autre sortit sa lame deux fois plus grande et frappa avec négligence la lame rouillée. Furieux, le frêle gamin se rua sur son adversaire en hurlant. Surpris, le brigand essaya de se défendre.

"Non!!! Noooon!"


Il y eut un silence.

Le jeune homme, les yeux vitreux, bascula lentement en arrière. Il fixa la lame qui sortait doucement de son torse, et s'effondra par terre, secoué de spasmes. La jeune Sarrasine se débattit de toutes ses forces et trébucha vers le corps de son ami. Des hoquets soulevait la poitrine du pauvre garçon, une plaie béante en plein thorax. Elle essaya d'appuyer sur la poitrine pour stopper le sang qui coulait à flots. Le pauvre continuait d'agoniser, le regard suppliant.

"Mais qu'est-ce que t'as fait! On ne devait pas les tuer, juste les voler!!! Rhaa…"


L'autre regardait stupidement sa lame tachée de sang. Il ne vit pas Selina qui bondit sur lui et martela sa cuirasse avec ses poings. D'un geste habile, il la fit choir à terre.

"On s'en va. On s'en va, allez! Viens!!!"

Tirant son acolyte toujours sous le choc, ils grimpèrent sur leurs chevaux et s'élancèrent vers l'Île d'Avalon à bride abattue. Ils laissèrent là la jeune femme en larmes, les mains pleines de sang, les yeux levés vers le ciel. Un cri déchirant brisait sa voix qui s'érailla.


Plusieurs années auparavant, sur la côte nord d'Albion...

"Elle est là, la Sorcière!!! Venez, vite!

Des villageois déchainés se lancèrent à la poursuite d'une Sarrasine. Cette dernière courrait, sa cruche dans les bras, vers sa cabane à l'écart du village

"Plus vite, dépêchez-vous, elle s'enfuit!"

Il l'encerclèrent enfin, menaçants, certains un outil à la main, d'autres avaient ramassé des galets ça et là pendant la course. Le cercle se resserra autour de la pauvre femme. Elle avait baissé son capuchon et se tenait sur la défensive. L'air méchant, un villageois fit un pas en avant, un fléau à la main, et l'invectiva:

"Alors, la Sorcière, te voilà, tu ne peux plus t'échapper maintenant..."

"Laissez-moi tranquille, je n'ai rien fait, je..."

"On veut rien savoir, tu as compris?! On ne veut plus te voir!"

"Mais..."

"Il n'y a pas de mais! Depuis que vous êtes ici, avec ta fille, il n'arrive que des choses bizarres! D'abord le bétail qui disparaît, ensuite les attaques sur villageois, et j'en passe!"

"Vous n'avez pas le droit..."

"On a tous les droits! Au contraire, toi, tu dois partir, tu n'as fait qu'amener des malheurs ici, on ne veut plus de ça!"
Un murmure commençait à monter de la foule, et les visages se firent encore plus menaçants.

"Maman! Qu'est-ce qu'il y a! Mamaaaaan!" La petite sortit de la cabane, effrayée.

"Rentre, Selina! Rentre, vite!"

"Partez, toi et ta fille, Sorcière! Ou alors, nous emploierons la force s'il le faut..."


Le chef des villageois fit tournoyer son fléau au dessus de sa tête, bien déterminé à frapper au premier faux-pas de la femme. Celle-ci, rapide, incanta un sort qui immobilisa la troupe. Elle les regarda un instant avant de se précipiter vers sa pauvre maison.

"Selina, viens! Il faut partir!"

Elle saisit l'enfant par la main et la tira vivement. La petite, toujours effrayée, contempla quelques secondes les hommes et les femmes hypnotisés devant la cabane. Sa mère la tira rapidement et elle s'éloignèrent en courant vers l'est, vers la forêt qui bordait la côte en direction du désert.

Hors d'haleine, la mère prit sa fille dans ses bras et se mit à courir le plus vite possible.

"Promets-moi, Selina, promets-moi que tu ne montreras à personne ce que tu sais faire... Ils pourraient te... Te tuer..."


La petite enfonça son visage dans le cou de sa mère, l'agrippant avec force, ballotée par la course effrénée. Silencieusement, elle pleurait de chaudes larmes.

La nuit est tombée. Une vielle bicoque en piteux état, quelque part à la lisère de la forêt du nord d'Albion...

Des coups sourds ébranlèrent la porte de la maison délabrée. La vieille femme ronchonna en se levant avec difficulté, appuyée sur son bâton orné de symboles obscurs.

"Ça va, j'arrive… Pas besoin de…"


Elle se tut immédiatement, voyant la silhouette qui portait un corps sur ses épaules.

Selina entra dans la maison en titubant et posa délicatement le corps sur les dalles du sol.

"Mais qu'est-ce que…"

"Ils l'ont tué, ils l'ont tué… et je n'ai rien pu faire…"

"Allons, allons, calme-toi…"


Dans un discours entrecoupé de hoquets, Selina raconta à la vieille sorcière ce qui s'était passé. Des "hum" et des "je vois" ponctuaient le discours de la jeune femme.

"On ne peut pas faire quelque chose?"

Le ton de sa voix était emprunt de tristesse et de larmes.

"Non Selina, il est déjà mort… À moins que…"

La vieille se retourna et farfouilla dans une étagère remplie de vieux parchemins. Visiblement, elle cherchait la solution dans ce fouillis de formules et autres écrits.

"Ah… Voilà…"

Elle tendit le parchemin. Selina le déplia avec précaution, et essaya de déchiffrer.

"Suis ça, et avec un peu de chance, tu pourras y arriver. Mais je ne te garantis rien… Moi-même je n'ai jamais essayé. Nous ne sommes pas faits pour cette magie… Les sorcières ne peuvent pas rendre la vie… Enfin… à toi de voir…"

"C'est ma seule chance…"

"Alors tu sais ce que tu dois faire. Je ne peux rien de plus…"


La vieille haussa les épaules et se dirigea vers l'âtre ou brûlait un feu presque éteint. Elle claqua des doigts, et les flammes se ravivèrent en pétillant.

Plus loin, dans une autre cabane délabrée, à la limite de la forêt et du désert.

Un rayon de lune se posa sur la tête de la forme inerte allongée par terre. Cette forme bougea un peu en gémissant. Selina se releva sur ses coudes, visiblement sonnée. Une odeur de chair passablement calcinée flottait dans l'air, et un léger brouillard obscurcissait quelque peu la lumière nocturne. Elle passa sa main sur son visage, elle poussa un cri strident. Sa peau semblait râpeuse, son visage boursoufflé, et des cloques parsemaient le côté droit de son visage. Elle poussa un autre cri en apercevant ses mains brûlées elles aussi. Elles fumaient encore, parsemées de brûlures, suintantes. Tout semblait irréel.
Effrayée, elle regarda l'endroit ou devait se trouver la dépouille. Le cercle magique était calciné, les traits noircis, mais plus de corps. Une masse informe -peut-être de la cendre ou autre chose- formait un tas au milieu du cercle...

"Mais qu'est-ce que j'ai fait... Mais qu'est-ce que j'ai fait..."

Saisie par la peur et toujours assise, elle recula et buta contre le mur derrière elle. Tout semblait tourner autour d'elle, elle fut prise de vertige et vomit sur le sol. Elle essuya sa bouche d'un revers de la main et hurla de douleur lorsque les plaies s'enflammèrent au contact de l'acide gastrique. Paniquée, elle saisit son bâton et se précipita dehors en tâtonnant dans l'obscurité. La porte s'ouvrit avec violence en se dégondant, des volutes de fumée s'échappant de l'entrée.
Elle s'arrêta net, regardant aux alentours. Tout semblait calme dehors, comme si l'intérieur de cette petite cahutte était hors du temps. Elle serra son bâton, et courut à perdre haleine vers le désert, les yeux en larmes, la peau brûlante, le regard voilé par le chagrin. Elle s'arrêta une dernière fois, et incanta un sort. Une brise tournoya autour d'elle, et elle reprit son chemin, comme portée par le vent tiède qui courrait sur les dunes.
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