Quatrieme et dernier mouvement : Renaissance

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Paradoxe
Maître Absolu
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Quatrieme et dernier mouvement : Renaissance

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Une douleur sourde et lancinante à la base du crâne, fit peu à peu émerger Eldorianne de son inconscience. Machinalement, elle porta une main fébrile à l’endroit commotionné tout en ouvrant péniblement les yeux. Toujours groggy, elle s’avisa de sa situation : elle reposait, allongée, à quelques pas de la table de l’alambic, au milieu d’un fatras de livres et de bris de verre. Sa vue troublée ne l’aida guère à identifier son environnement immédiat. Pourtant, dans l’extrémité inférieure de son champ de vision dardait une pâle lumière pourpre.

Elle tenta de s’ébrouer mais ses premiers mouvements lui provoquèrent un râle de douleur, d’autant que ses jambes refusaient de lui obéir. Elle était comme paralysée et s’échina à se redresser sur son séant, à la seule force de ses bras. Elle dû répéter au moins trois fois la tentative avant que cette terrible nausée ne l’abandonne progressivement. Une fois assise, son regard angoissé se porta sur ses jambes : celles-ci étaient recouvertes d’une fine pellicule de glace dont les aspérités reflétaient l’aura de l’Arche Abyssale. En plissant les paupières comme pour affiner sa vision, elle pu découvrir qu’une zone circulaire, centrée sur l’Arche, couvrait de givre l’intégralité de la pièce. L’épaisseur de la glace semblait varier du simple au double pour peu que l’on se rapprochât du monument…ou bien de la statue de cristal polaire qui se tenait, voûtée comme dans un simulacre d’agonie, sur la stèle du Requérant.

Eldorianne fut prise de panique et s’agita de manière désordonnée, elle frappa du poing sur sa prison de glace sans guère de succès. Il lui fallait à tout pris se libérer. Devant cet échec, elle tenta de se rasséréner. <Calme-toi, calme-toi ! > se tança-t-elle à voix haute. < Réfléchit bon sang ! >. Elle s’empara d’un gros volume relié qui traînait à porté de main et cogna avec l’arête du livre jusqu’à ce que la fine couche de glace commence à se fissurer. Dans un violent effort, elle libéra d’abord sa jambe droite, puis la gauche, non sans avoir changer par trois fois de boutoir. Les coups répétés sur ses jambes l’avaient rassuré : elle sentait bel et bien la douleur. <Sans les enchantements de mon armure, la morsure du froid eut été fatale> pensa-t-elle. Une fois débarrassée de son carcan de glace, elle entreprit de se frictionner vigoureusement les membres inférieurs tout en les faisant bouger peu à peu. A son grand soulagement, cela ne lui pris que peu de temps avant de retrouver sa motricité.

Eldorianne se releva en s’aidant de la lourde table pour compenser sa faiblesse passagère. Une fois debout, elle ne pu détacher son regarde de la statue de glace qui était, jusqu’à peu, le démoniste aux ricanements intempestifs : Maître Efford. Il était recroquevillé au sol dans une position presque fœtale, le bras droit tendu vers le piédestal qui supportait son grimoire. L’extrémité de sa main osseuse était brisée au niveau de la seconde phalange. Eldorianne frissonna d’appréhension et se rapprocha à pas comptés de la dépouille gelée. A plus y regarder, le vieil homme arborait une expression de complète incompréhension mêlée à un rictus de douleur.

-Rassurez-vous, il a beaucoup souffert…lança une voix grave et profonde qui semblait parvenir de tous côtés.

Soudainement, de nombreux flash revinrent en mémoire à Eldorianne : <Prenez place sur l’estrade du Scrutateur et ne la quittez sous aucun prétexte !> se souvint-elle en se retournant pour poser les yeux sur l’estrade vide, <C’est sur ce réceptacle que prendra corps la Bête[/]> se remémora-t-elle en pivotant avec angoisse vers la Rosace de Contention…qui était déserte. Effrayée, elle chercha du regard dans toute la pièce la provenance de la voix, tout en reculant instinctivement.
Comme sorti du néant, une paire d’yeux de jade incandescent fit son apparition à la droite de l’Arche Abyssale. Une forme ténébreuse vint encadrer ce regard curieux et envoûtant. Le cœur battant de l’Arche sembla stopper son balai de métronome, sa chaude lumière pourpre se fit chandelle. Le temps se figea lorsque le démon prit corps en ce monde.

Eldorianne eut subitement le souffle court, un malaise grandissant, associé à une terreur sans bornes, s’empara de sa conscience malmenée. Elle resta-là, démuni et paralysée par la négation de vie dont le regard pétillant lui souriait alors.

La créature s’avança en direction de la Dame qui eut un vif mouvement de recul lui faisant ainsi buter, avec surprise, le rebord de la table.

Les ténèbres entourant les yeux spectraux se modulèrent pour dessiner peu à peu une silhouette plus que reconnaissable et humanoïde. Eldorianne se tenait, bouche bée, face à son double nocturne. Tout était agencé d’ombres contrastées et mouvantes pour réaliser, qui le visage, qui le corps, qui les détails de l’armure…

Le démon se trouvait au niveau de la stèle du Requérant lorsqu’il prit la parole d’une voix douce et mielleuse.

-Brisons la glace, si je puis me permettre…Une légère pichenette suffit à la créature pour faire exploser en une myriade de cristaux bleutés la statue de givre. Je suis Ba’Alorien, réellement enchanté de vous rencontrer, articula parfaitement le démon tout en exécutant une révérence outrancière.

-Mais comment, comment…est-ce possible…bafouilla gauchement Eldorianne.

-Tss Tss Tss, ces humains…ils veulent toujours connaître le pourquoi du comment, souffla Ba’Alorien en soupirant. D’après vous, comment suis-je arrivé là ? poursuivit le démon d’un air navré.

-Vous…l’invocation a échoué et vous en avez profité pour vous insinuer en ces terres, répondit la Dame, la terreur de la rencontre s’estompant.

-Bravo, quelle dextérité intellectuelle, rétorqua la créature en applaudissant mollement. Mais sachez que de mon point de vu, l’invocation de ce minable fut un réel succès et il ne pouvait en être autrement car nous devions nous rencontrer ma chère…même si je ne suis pas celui que vous attendiez…mais rassurez-vous, vous ne perdez pas au change, quoique…ironisa la créature.

-Nous rencontrer ? Que voulez-vous de moi ?! s’écria Eldorianne dans un accès de courage.

-Mais rien de bien inhabituel, je compte tout simplement vous arracher le cœur, boire votre sang et me repaître de votre chair…affreusement classique et prévisible pour un démon n’est-ce pas ? ricana le double ténébreux.

Eldorianne pâlît soudainement pour le plus grand plaisir de Ba’Alorien qui se fendit d’un long rire gras.

-Plus sérieusement, je dirai que c’est vous, ma tendre petite Eldorianne, qui avait précipité ma venue en ce lieu. Je m’en voudrai de tomber dans le stéréotype et le cliché, mais vous êtes une sorte...d’élu. Vous n’êtes heureusement pas unique ni irremplaçable et maints humains auraient pu convenir. La seule différence entre vous et la masse sordide des crétins, réside dans le fait que vous avez franchi la barrière morale en vous intéressant aux forces abyssales…en tentant ainsi de nous soumettre à votre misérable volonté, ajouta Ba’Alorien.

-Mais je n’ai jamais souhaité cela, je ne voulais pas avoir recours à vos services…protesta Eldorianne

-Vous n’avez en effet pas choisi d’être un élu, peu le savent mais beaucoup le deviennent. Pour être franc, autant qu’un vil démon comme moi puisse l’être, il suffit d’être blessé successivement par le trio princier, auquel j’ai l’immense honneur d’appartenir, pour se muer en un futur volontaire désigné d’office, chuchota le démon sur le ton de la confidence.

Eldorianne frémit en se remémorant ce jour maudit où les Abysses s’étaient ouvertes à elle et ses compagnons d’avidité.

-Je fus en effet blessée par chacun des Maîtres des Abysses, avoua-t-elle piteusement.

-Et cet instant fut le commencement de tout ma douce…je me dois de saluer votre opiniâtreté à persévérer dans vos recherches sur mes séides, sans ce petit miracle tout à fait fortuit, nous ne nous serions jamais croisés et cela eut été fort regrettable, gloussa Ba’Alorien.

-Si je n’avais porté aucune attention à votre engeance maléfique, si je ne désirai pas me venger au-delà de toute lucidité, si mes noires lectures ne m’avaient point introduite auprès du Cercle…rien de tout cela ne se serait produit et Efford serait toujours de ce monde, commenta Eldorianne en serrant les poings.

-Ne vous tracassez pas de la sorte…mais si vous souhaitez intervenir pour sauver le vieux grigou, hâtez-vous donc car ses restes commence à fondre, ricana le prince.

La Dame fixa la créature ténébreuse qui semblait la défier de tenter quoique ce soit. Eldorianne s’avança pas à pas en faisant fi du sourire narquois du démon, elle s’approcha des restes de la statue et se pencha pour les effleurer avec angoisse.

-Quels que soient les noirs chemins que ton âme emprunte, quels que soient les tourments que ton enveloppe charnelle ait pu endurer, je te commande, Efford, de t’en retourner instamment à La Lumière ! tonna la clerc en réalisant son incantation.

Le flot de magie divine survint, apaisant et bienfaiteur, pour entourer les fragments de glace d’un puissant scintillement azuréen.

-Est-ce donc là toute la fabuleuse expression de Votre foutue Lumière, humaine ? gloussa Ba’Alorien en constatant avec délectation l’échec cuisant de la tentative de résurrection.

Eldorianne se releva lentement, tête baissée. Son expression déconfite précipita l’intervention de son clone.

-Je m’étonne de vous voir ainsi désabusée. Ma présence semble troubler votre capacité de réflexion, si tant est que vous ne l’ayez jamais possédée…Mais que c’est-il donc passé de fâcheux pour que La Lumière se détourne de l’un de ses enfants ? Un indice : le fait que Efford fut un satané bâtard bouffi d’arrogance n’est pas à prendre en compte, ricana Ba'Alorien qui semblait apprécier chaque instant de la scène.

-Lorsque un mortel se voit ôté son dernier souffle de vie par un habitant ténébreux, nul pouvoir en ce monde ne saurait rappeler son essence ni guérir sa chair, récita Eldorianne.

-Il s’agit de mon passage préféré du Grand Précis Sur Les Dogmes Abyssaux, intervint le démon en mimant de s’être essuyé une larme. Et oui, lorsque l’un de mes enfants exécute sa noble besogne sur votre plan d’existence, sa victime ne saurait être ressuscité. C’est d’ailleurs pour cela que vous désiriez tant lier un des miens, car vous saviez pertinemment que l’objet de votre ire serait définitivement condamné ! s’écria le démon.

Au dehors, l’orage donnait toute sa puissance, le grondement sourd du tonnerre semblait faire vibrer la tour. Eldorianne porta son regard par-delà la grande fenêtre en arceau battu par la pluie. Elle ne trouva qu’une profonde ténèbre zébrée d’éclairs d’or, mais point d’échappatoire.

-Finissons-en une bonne fois pour toute, je suis lasse de vos sarcasmes, démon, souffla la Dame en retenant ses larmes d’impuissance.

Ba’Alorien s’était entre-temps rapproché de l’Arche Abyssale. Il en effleurait le pilier gauche lorsqu’il s’adressa à la jeune femme sans même la regarder.

-Soit, puisqu’il vous tarde de fusionner nos consciences…ricana la créature.

Le démon pivota avec grâce et vint se placer à quelques pas de la Dame. Il arborait une expression hautaine et un sourire suffisant.

-Maintenant, décida Eldorianne.

Un mouvement d’une extrême rapidité prit au dépourvu Ba’Alorien. La courte lame à double tranchant perça les ombres de la créature pour s’enfoncer profondément en plein cœur. Le démon hurla de rage en exécutant une fulgurante riposte: d’un ample revers de main, il projeta avec fougue son adversaire qui alla s’écraser sur la table, brisant fioles et alambic dans un roulé-boulé incontrôlé qui s’acheva au sol.

Le prince jura dans une langue incompréhensible avant d’ôter la dague comme si il ne s’agissait que d’une vulgaire écharde. <Maudite humaine ! Croyais-tu m’occire avec ce triste coupe-ongle ?!> Le démon franchit la distance qui le séparait de la table à grandes enjambées, il la brisa net des deux poings et plongea sa main dans l’obscurité. Il agrippa Eldorianne à la gorge et la releva de son bras puissant.

-Si je n’avais pas un impérieux besoin de ta pauvre carcasse, je t’aurai bien volontiers tuée !

Eldorianne dont la joue entaillée saignait abondamment, pris sur elle-même d’oublier la rude douleur de son flanc droit pour cracher au visage du Prince des Abysses. Ce dernier eut un rictus irrité et raffermit son étreinte. Il relâcha prise en expédiant violemment son fardeau contre un des piliers de l’Arche. Eldorianne se réceptionna sur l’épaule, l’articulation émit un craquement sec de mauvais augure. La douleur flamboya à un point tel que la Dame ne pu retenir un cri de souffrance. Malgré sa détermination à ne point céder, des larmes commencèrent à poindre et à brouiller sa vision. Le corps meurtri, la raison vacillante, Eldorianne attendait le coup de grâce en gémissant au sol.

-Vous autres humains vous croyez tellement puissants, tellement supérieurs du haut de votre arrogance déplacée, s’écria Ba’Alorien en se rapprochant. <Vous paradez en polluant mon royaume de votre abjecte présence, vous tuez mes enfants pour satisfaire votre cupidité en prenant plaisir au carnage.> Le démon posa son pied sur le flanc blessé de sa victime. <Et c’est nous qui devrions être les démons ?!> La pression exercée sur le torse laissa échapper un râle à Eldorianne. <En quoi sommes-nous plus viles que votre espèce dégénérée ? Est-ce parce que nous arborons griffes et crocs ? A contrario de votre race, nous ne nous entretuons point lors de guéguerres mesquines, avec pour caution morale une quelconque Lumière qui vous absout de tous crimes ! Nous subissons votre joug depuis trop longtemps ; depuis trop longtemps le droit de fouler cette terre nous a été refusé à cause de votre hégémonie !> La créature sembla s’apaiser et ôta son pied. <Désormais, ce temps est révolu, humaine, car grâce à ton concours, je vais enfin pouvoir naître !!>

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-Réveillez-vous, mais réveillez-vous donc !! cria Armus en secouant la Dame. Il avait mis un certain temps avant de pouvoir pénétrer dans l’Antichambre, car le mécanisme qui commandait le pan de mur escamotable refusait de lui obéir. Ses appels répétés n’avaient trouvé aucun écho auprès des occupants. La stupeur avait étreint le jeune démoniste lorsqu’il avait découvert la pièce sans dessus dessous. L’absence de son maître avait renforcé son sentiment d’inquiétude. Cependant, il avait éprouvé un regain d’espoir personnifié par la jeune femme allongée près de l’Arche Abyssale.

Eldorianne ouvrit lentement les yeux et contempla le faciès ingrat et juvénile de l’homme assis à son chevet. Avant que ce dernier n’ait pu ajouter quoi que ce soit, elle lui adressa un radieux sourire qui désarma instantanément le nouveau venu. La jeune femme se redressa avec souplesse et grâce et pris le temps de s’étirer longuement, comme après un dur réveil.

-Mais où est mon maître, que c’est-il passé ici ?! enchaîna subitement l’apprenti.

La Dame ne semblait lui prêter aucune attention, trop occupée qu’elle était à apprécier ses propres contours, palper son fin visage, lisser ses cheveux d’or.

-Une renaissance, une simple et émouvante renaissance, commenta Eldorianne d’un léger rire cristallin.

Armus resta interdit par cette réponse mais décida de persévérer.

-Je veux savoir où se trouve mon maître… tenta-t-il d’insister en constatant que son interlocutrice s’évinçait.

Eldorianne s’approcha de la fenêtre, fit jouer le loquet et ouvrit. Une bourrasque de vent s’engouffra alors, au plus grand bonheur de la Dame qui inspira à pleins poumons l’air pur et vivifiant de cette fin de nuit orageuse. Au dehors, le tonnerre s’était tu et une aube chargée de brumes s’étendait désormais sur la forêt détrempée. Avec dextérité, la jeune femme s’accroupit sur le rebord de fenêtre, en fixant d’un regard pétillant l’astre naissant. Lorsqu’elle plongea dans l’abîme, Eldorianne songea avec amusement que sa nouvelle existence allait sans nul doute la combler.
Marchant vers les glaciales contrées de Midgard..
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