La trollesse ouvre les yeux. Elle se redresse maladroitement et parcoure les environs du regard. De la pierre. De la pierre, à perte de vue. Une... carrière. Le mot a semblé surgir des profondeurs de son esprit, soufflé par quelque savoir enfoui. Elle grogne, mais la sensation s'est évanouie sans laisser de traces. Que fait-elle là ? Fouillant dans sa mémoire, elle tâche de se souvenir. Mais il n'y a rien. Comme si elle venait de naître. Cette pensée là interrompt le cours de toutes les autres.
La trollesse est secouée d'un grand rire. C'est ça ! L'esprit et la pierre, liées pour l'éternité par... par elle ne sait quoi. Il y a quelque chose comme... des êtres supérieurs. Le reste est flou. Mais elle trouverait. Une nouvelle certitude l'envahit, et elle décide de quitter cet endroit. Où qu'elle aille, elle aura les réponses à ses questions.
En grognant de nouveau, elle met son grand corps en mouvement. Un pas après l'autre... Vers le soleil. C'est une direction comme un autre, après tout. Elle marche ainsi pendant un temps indéterminé. Lorsque la nuit tombe, l'instinct lui dicte de se reposer. Dormir, c'est le mot. Elle déniche une cavité creusée dans la roche qui a l'air assez profonde pour faire l'affaire.
A l'intérieur, c'est le noir complet. Elle s'aventure jusqu'à une certaine distance, rasant le mur pour ne pas se perdre, une main tendue vers l'avant. Main qui touche une matière inattendue alors que la trollesse s'apprêtait à s'arrêter. Ce n'est définitivement pas de la roche. Beaucoup trop... doux... et ...soyeux. La trollesse laisse échapper une grognement. Un son infiniment plus grave et plus puissant lui répond. Sous sa main, la chose vibre. Respire. La trollesse recule et aperçoit un mouvement dans les ombres. Deux yeux d'un jaune sauvage apparaissent soudain, la fixant avec malveillance.
La trollesse a l'impression qu'une décharge électrique lui parcoure tout le corps. Un ours ! Elle a pénétré dans la tanière d'un ours. Quelque part, quelqu'un pousse un hurlement :
— Graaahaaaaar !
Poussée par une force qu'elle ne comprend pas mais ne peut outrepasser, la trollesse se jette sur l'animal avec rage. Ses poings de pierre percutent le mur de fourrure avec un bruit mat. Le prédateur rugit de douleur et fend l'air de ses griffes en représailles. Elles ne font qu'érafler le corps de la trollesse. Cette dernière resserre ses mains autour du cou de l'ours et commence à serrer de toutes ses forces. Ils roulent au sol dans un concert de grognements. La trollesse ne relâche pas sa prise malgré les coups de griffes que lui assènent son adversaire.
Au bout d'un moment, l'ours s'affaiblit, ses attaques deviennent moins violentes. Pour finir, il laisse échapper un gargouillement étranglé et s'immobilise complètement. La trollesse frissonne et desserre son emprise. Elle se sent envahie d'une énergie nouvelle, une force qui envahit à présent chaque parcelle de son corps. Sans savoir pourquoi, elle attrape la patte de l'ours vaincu et lui arrache une griffe.
— Kelgor.
Elle fronce les sourcils, intriguée. D'où vient ce nom qu'elle a prononcé sans même s'en rendre compte ? Sa question reste sans réponse. Elle hausse les épaules. Tout viendra en temps voulu. Elle s'allonge sur le corps de l'ours mort et s'endort presque aussitôt.
***
— Qu'est-ce que c'est ?... Une trollesse. Une jeune trollesse... Pour une surrrprrise. Qu'est-ce que tu fais là ?
— Grahar avoir faim. Avoir senti bonne odeur. Viande ?
— Mmh, en effet. De l'humain. Tu en veux ?
— Grahar manger 'porte quoi tellement avoir faim.
— Alorrrrs mange.
(Pendant quelques instants on entend seulement les grognements de la trollesse en train de se nourrir.)
— D'où tu viens ?
— De pierre. Là-bas. Loin.
— Intérrressant. Tu es donc librrre ? Aucun lien, nulle parrt ?
— Oui. Grahar seule.
— Plus maintenant. Je suis là, moi.
— Être vrai. Valkyne aider Grahar ?
— Oh ça oui. D'abord je t'apprrrendrrai à te battre... puis à parrrler. Les arrrmes sont souvent plus efficaces que les mots.
— Grahar accord. (Un silence.) Être quoi armes Valkyne ?
— Des griffes. Métal ou os, à ta convenance.
— Kelgor.
— Prrrécisément. (Nuance étonnée.) D'où tiens-tu ce nom ?
— Pas savoir. Être comme brouillard dans tête.
— Hé bien nous allons trravailler à rrendre ça plus clairrr.
— Grahar amie Valkyne maintenant ?
— On peut dirre ça, rrroui...
Quelques années plus tard...
— Graaahaaaaar !
La trollesse lève sa chope en criant, puis la vide d'un seul coup. Ce faisant, elle s'attire les regards des clients de l'auberge. Certains ricanent, d'autres ont l'air franchement amusés, mais cela n'est pas du goût du Breton qui s'avance à présent vers elle.
— Hé dis donc le troll... t'es pas tout seul ici. Alors un peu moins de bruit, hein.
La trollesse répond d'une voix lente :
— Grahar pas être Troll... Être Trollesse.
— Ah oui, une trollesse, c'est très différent en effet... Bon écoute maintenant tu te tais ou je vais commencer à m'énerver.
Grahar lui jette un regard méprisant.
— Grahar pas agir fonction vouloir Breton... Albionnais.
Le dernier mot résonne comme une véritable insulte. Le visage de l'humain vire au rouge alors qu'il tape du poing sur la table en hurlant :
— Je n'accepterai pas d'insultes de la part d'un tas de cailloux !
— Ça bien tomber, Grahar pas accepter insultes humains.
La trollesse lève sa chope comme pour boire de nouveau... et la fracasse violemment sur le crâne du Breton.
— Par tous les dieux ! s'exclame un autre Albionnais. Mais c'est qu'elle cherche la bagarre !
Il accoure pour soutenir son compagnon qui menace de s'écrouler.
— Elle va la trouver, alors ! fait une troisième voix en écho.
Les autres clients de l'auberge ne prennent pas partie, préférant observer la suite des évènements. Grahar se retrouve encerclée par les trois hommes des plaines, qui tournent autour d'elle en attendant prudemment une ouverture. Ils ont sorti leurs dagues et ne quittent pas la trollesse des yeux. Cette dernière éclate de rire à la vue de leurs armes.
— Petites lames rien pouvoir contre Grahar...
— C'est du métal enchanté, siffle le premier humain qui s'est remis de son coup à la tête. Il va trancher ta pierre comme du beurre...
Le sourire de Grahar s'élargit et elle décide de montrer ses propres armes à ses adversaires. Formées d'os tranchants liés ensemble par des lanières de cuir, les griffes de corne virevoltent dans l'air alors que la trollesse s'élance. Son poing percute l'estomac du breton situé à sa droite, et la griffe déchire l'armure de cuir pour aller se planter dans la chair. Le hurlement de sa victime fait écho au grognement satisfait de Grahar. Elle délaisse l'humain qui s'effondre pour se tourner vers le suivant.
Cette fois-ci, elle vise la tête. Sa première lame d'os bloque le coup oblique de la dague tandis que la deuxième trace une longue estafilade sur le visage de l'humain. Il recule en braillant et porte les mains à ses yeux, tentant de retenir le flot de sang qui s'en écoule.
— Attention ! hurle quelqu'un.
La trollesse se retourne, mais trop lentement. La dague de son dernier adversaire, le seul qui soit encore debout, se plante dans son dos avec un scintillement bleuté, perçant la pierre. Avec un cri de rage, Grahar fait brutalement volte-face, arrachant du même coup l'arme des doigts du breton. Les lames de la trollesse se croisent au niveau de son cou sans qu'il ait pu réagir, et sa tête tombe sur le sol avec un bruit mat qui marque la fin du combat.
— Ça c'est d'la bagarre, hé ! apprécie un viking installé à quelques tables de là. Ça m'rappelle la Horde, tiens !
— Horde ? marmonne Grahar en retirant la dague de son dos avec une grimace.
— Pour sûr ! s'enthousiasme le Midgardien. Viens donc là que je te conte c'que j'sais !
Grahar, motivée par sa curiosité, n'hésite pas longtemps avant d'aller s'asseoir aux côtés de l'humain. Au fur et à mesure qu'il lui explique ce qu'est la Horde et les idéaux qu'elle défend, le trollesse se rend compte qu'elle n'a jamais envisagé de prendre une autre voie. Elle hoche lentement la tête, convaincue que cette Horde détient les réponses qu'elle cherche, et presque étonnée que ses propres buts correspondent tant à ceux de cette organisation. Elle en est sûre à présent. Son chemin passe par la Horde.
Mais il y a la Valkyne. Qu'en pensera-t-elle ? Lui interdira-t-elle d'aller trouver des réponses ? Grahar plisse les yeux. Elle saura la convaincre.
***
— Alors, Grahar pouvoir ?
— Bien sûr. Pourrrquoi t'en empêcherais-je ?
— Grahar contente ! Peur Valkyne refuser.
— Non, non, non... mais tu me tiendrras au courrant, mrrr ? L'avancée de ta quête... les noms des tes nouveaux compagnons... la puissance guerrièrrrre de cette Horrde... — Valkyne intéressée ?
— Oh rrroui. Beaucoup.
— Pourquoi ?
— Parrrce que je fais attention à toi, Grraharrr. Parce que je ne veux pas qu'il t'arrive du mal.
— Mais Grahar pas vouloir Horde se sentir 'spionnée.
— Alorrs il suffirra de ne rrien leurr dirre... n'est-ce pas, Grraharrr ?
(La trollesse hoche lentement la tête.)
— Oui. Oui. Être vrai. Grahar faire ce que dire Noxae.
