( > 1ère partie )
( > 2ème partie )
Thorgor vivait au rythme des sabots qui heurtent la rocaille. Il contemplait, hagard, l'immensité désertique face à lui. Même chose derrière. La sensation d'avancer s'était peu à peu estompée. Le vide. L'inutile.
Le Highlander baissa les yeux. La crinière de sa fidèle Elfenes était grise de poussière, de cette même poussière qui s'élevait en âcres nuages sur son passage. Lui aussi devait être gris, pensa-t-il.
Dans un sursaut de volonté, et dans l'espoir de réactiver ses glandes salivaires, il passa la langue à l'intérieur de ses joues. Rêche comme une lime. Que faisait-il là ? Il n'en avait aucune idée.
Sa folie avait décidé de l'envoyer à la mort. Et maintenant qu'il était lucide, il sentait qu'elle n'était pas loin. La douleur avait disparu. Il se souvenait de tout. Tout ce que sa mémoire avait occulté durant de longues années. Mais il ne voulait pas se souvenir.
Thorgor jura. Il les maudit tous, ses amis, ses proches, ses ennemis, ses maîtres, ses Dieux. Alors qu'il sentait une haine brûlante le submerger, le maître d'armes ferma les yeux. Ses paupières restèrent closes, comme scellées par la crasse.
Une douleur sourde à l'épaule le fit revenir à lui. Il se releva le bras pendant et crut d'abord être sujet à une hallucination. Il se trouvait sur un petit tertre verdoyant au centre duquel un tronc d'arbre évidé tenait lieu d'abreuvoir. Sa jument ingurgitait à grands coups de langue, les deux naseaux plongés dans l'eau. Thorgor mit ses mains en coupe et but à son tour. Puis but encore, et soupira d'aise. Il regarda ses bras, gris comme il l'avait prédit et couverts de gerçures. Alors il se dévêtit et s'arrosa tout entier, et en fit de même pour son cheval.
Enfin, il se retourna. Le paysage lui était familier ; de l'autre côté de la butte s'élevait, dense et silencieuse, la sombre forêt d'Hibernia.
Après avoir enjambé un ruisseau et écarté maints buissons, il parvint à une excavation dans la mousse, baignée de la lumière qui perçait entre les arbres à cet endroit. Il se laissa glisser et se réceptionna doucement en s'aidant de ses mains.
Un vieil homme était assis en tailleur, comme assoupi. Thorgor sourit et s'assit face à lui.
- Tu me chagrines, Thorgor Braveheart. Après tant d'années, tu es encore capable de renier ce que tu es devenu ? Tu ne seras jamais un sage.
Comment avait-il pu savoir ?
- Sans doute car cela est impossible, maître. Je ne saurai jamais appréhender une situation telle que celle que je viens de vivre.
Ce fut au vieillard de sourire.
- C'est juste. Mais maintenant, où en es-tu ?
- Pas très loin, j'en ai peur. Je renonce à faire le bien. Mais je n'ai pas, comme je l'ai un instant cru, la force de nuire.
- Alors peut-être te faut-il en rester là. As-tu délaissé toute conviction ?
- Certainement pas. Mais elles ne sont pas de cet ordre. J'aimerais combiner liberté morale et satisfaction de venir en aide à autrui...
- Considère de nouveau tout ce que nous avons pu dire, car cela est possible. Mais il te faudra un grande rigueur de modération. Probablement en es-tu désormais capable. Tu as toujours le travers de ramener tout ce que je t'enseigne à toi seul, tu devras exploiter cela. Viens maintenant, on nous attend.
Le vieil homme se leva lentement et lui tourna le dos. Thorgor le regarda et sentit ses yeux s'emplir de larmes. Ce maître - ou était-ce un Dieu ? - qu'il aimait, il sentait qu'il le voyait pour la dernière fois. Il se mordit la lèvre inférieure et lui emboîta le pas.
Note : A relier au BG des Hommes de Main