Tourments

[Paradoxe]

Je pourrais prétendre que j'écris ces lignes afin de faire partager ma vision du monde, ma connaissance et mon expérience de celui ci, afin que mon peuple puisse un jour profiter de tout ce que j'ai pu voir tout au long de mon existence.
Mais en fait au fond de moi je sais très bien pourquoi j'ai pris cette plume, je sais très bien à quel point je suis tourmenté par ce qui est ma vie et mon destin.

Nul homme n'a été comme moi et n'a pu voir tout ce que j'ai vu. Je n'en tire aucune fierté, aucun plaisir et, bien loin de moi cette idée, je ne suis pas en train de me vanter.
J'ai vécu de nombreuses et nombreuses vies d'hommes communs ( ce que j'aurais aimé pouvoir être ), j'ai vu les générations défiler devant moi, j'ai vu les ères se succéder les unes aux autres. Mon existence s'est prolongé durant des siècles et des siècles, l'humanité découvrant à peine l'existence du fer lors de ma naissance.
J'ai assister à tant de choses, mon cerveau a assimilé tant d'informations, je suis devenu un témoin de l'histoire de notre monde, une mémoire humaine sans précédent, même la longue vie du Légendaire Merlin m'a semblé éphémère. Seuls les elfes immortels pourraient me comprendre mais leur nature même fait qu'ils ne ressentent pas ce que je peux ressentir.
Je suis unique et millénaire, et c'est bien cela l'objet de mes peines, de mon désespoir.

Je n'ai aspiré qu'à une vie simple au sein de ma tribu, mais la férocité de ce monde encore jeune me rattrapa bien vite. Encore enfin je découvris la torture ainsi que les pires démons pouvant hanter notre monde, devenu le jouet d'un magicien devenu fou dans sa quête de connaissances. J'ai côtoyé les pires horreurs durant ces années mais j'ai pu survivre, sans que je puisse comprendre pourquoi.
Finalement le destin, le hasard, me permit de m'enfuir mais devenant celui que je suis, marqué à jamais par l'être qui s'accroche à mon existence telle une sangsue, survivant dans une sorte de plan, intimement lié à mon existence.
C'est à lui que je dois cette immortalité, c'est à lui que je dois ces tourments, ou à cet elfe fou qui voulait le faire renaître.

Ainsi ma vie s'est poursuivie durant des éons, seuls les elfes pourraient comprendre l'ampleur de ce que j'ai, mais par essence ils sont elfes et immortels, tout ceci n'est rien de plus que naturel.
Je suis un être solitaire, sans nul autre pareil.
A mon sens les vies des hommes ne semblent être que de fragiles flammèches dans un grand vent, s'éteignant si vite, rapide comme le battement d'aile d'un papillon. Les gens meurent si vite mais vivent si intensément, je ne peux que les observer et les voir mourir.
J'ai enterré tant d'amis, tant de maîtresses, tant d'anciens amours qui ne survivent que dans ma mémoire. J'ai pleuré tant de nuits sur ceux qui ont disparus et qui m'ont été si cher.

J'ai vu tant de fois la mort et mon coeur se voile en songeant que les hommes eux même se la donne avec tant d'allégresse. Tout au long de ma vie j'ai vu des combats, des batailles, des guerres. Tout au long de ma vie j'ai vu les hommes tombés. J'ai pu contempler l'oeuvre de la faucheuse plus de fois que l'on ne peut l'imaginer, j'ai vu des millions d'hommes mourir dans leur sang, un nombre qui parait irréel et pourtant. Ces morts me hantent, tout ces massacres, comme si l'humanité ne cherchait qu'à répandre plus de sang pour assouvir de futiles désirs.

Pis que cela je dois moi même répandre la mort. J'ai tué tant d'hommes que l'on aurait pu peupler un royaume vierge. Tout au long de ces années j'ai du manier l'épée pour survivre et par la force des choses, durant des siècles d'entrainements, j'en suis arrivé à la manier avec talent, tuant encore et toujours, et par la force des choses mon talent s'accentue encore. J'ai eu tant d'années pour maîtriser cette arme que j'approche un niveau hors normes, encore accru par ces connaissances sans âge de ce parasite rattaché à moi.
Mon art de l'épée et de la magie enseigné par ce démon ont fait de moi un combattant exceptionnel.

Et pourtant je sais que je devrais encore me battre, que je devrais encore tuer de nombreux hommes, car je me bats pour défendre ces gens qui ne pourraient pas le faire eux mêmes, je me bats pour préserver la paix des gens qui m'entourent.

Je suis devenu un maître dans un art que j'exècre, un art que je suis dans l'obligation d'utiliser, quelle cruelle ironie.


D'ailleurs, alors que j'écris j'entends les bruits du campements, le fourbissement des armes, la tension qui règne dans l'air, je peux sentir la bataille à venir.
Même mon épée, trouvée il y a si longtemps dans les possessions de ce fol elfe, semble vibrer, comme si elle pouvait sentir par avance le sang qui coulera le long de sa lame.
Je sens par avance les vies que je prendrais et la douleur qui poignardera mon coeur.


Une fois de plus je me battrai.
Une fois de plus je tuerai.
Une fois de plus je sentirai mes larmes couler sous mon heaume