[BG] Carice De Kryss

L'histoire d'Amtenaël
Thorgor
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Carice vient de sortir. Elle voit rien, mais c'est tout rouge et ça fait mal. Et puis ça sent pas bon. Elle pleure, Carice. Mais Maman elle est là, et elle sent bon, alors ça va mieux.

Carice a trois ans. Elle a mal au ventre tout le temps. Quand elle mange elle a moins mal, mais elle peut pas manger souvent. Maman lui dit : "Ma môtché - elle lui dit toujours ma môtché -, si t'as mal c'est la fôte des hômes. I' r'clamont toujours après mo' mais i' m'payont pas bien. Les hômes sont tout l'temps apres assayer d'faire accroire qu'i sont les plus sma't. Mais fô pas écouter ces histoires, la franche vérité, y a pa plus bête qu'ein hôme."
Mais Carice sait pas ce que c'est qu'un homme. Quand il y en a un qui vient à la maison, Maman la met dans le placard. Carice reste dans le noir, ça elle aime bien. Mais souvent elle entend Maman crier, alors elle a envie de crier aussi, de sortir du placard, mais elle peut pas, parce que Maman a dit chut, et la poignée est trop haute.

Carice a sept ans. Elle a moins faim, parce qu'elle a le riz maintenant. Carice, elle aime son riz, elle s'occupe de lui. Quand les monsieurs viennent, elle les fait rentrer, un par un, comme promis. Souvent, ils sortent vite, alors elle retourne voir son riz. Elle aimerait bien aller voir après le marais, passer la planche, mais sa maman a dit que c'est dangereux. Un jour, sa maman lui a dit aussi : "A force mo' travaillé dir, dans quèques années mo' pis capab' travailler. To ane fôme, té bien élevée, alors tu d'vras faire la job à ma place."

Carice a douze ans. Sa mère la laisse sortir, oh pas loin, mais elle va chercher à manger, elle a plus faim. Les hommes viennent souvent les voir, et sa mère leur dit de choisir. C'est souvent Carice qu'ils montrent du doigt. Alors Carice elle va sous les hommes, et elle a envie de pleurer, mais surtout faut pas pleurer, donc elle crie. Comme sa mère.

Carice a seize ans maintenant. La vieille lui a appris des tas "d'astuces" pour que ça aille plus vite, bientôt, qu'elle dit, elles seront riches. Mais Carice, ça la dégoûte.
Ce soir, il y a un homme tout bleu, tout petit, tout laid. Il soulève sa tunique. Carice a la nausée, et puis la tête qui tourne. Elle prend le bâton taillé pour si y a un problème, et puis PAF !, elle lui plante juste là. Le petit bleu tout laid fait la grimace, il est encore plus affreux. Puis il tombe par terre, les yeux grands ouverts. Carice éclate de rire, vraiment, elle se sent bien. Elle lui crache dessus aussi. Après, elle pense à la vieille, aux autres hommes dehors. Il faut partir vite. Elle casse la fenêtre de brindilles, et se glisse dehors. Fuir. Elle saute dans la vase. Ses pieds s'enfoncent, il faut les lever très haut. Il y a des bêtes visqueuses qui s'accrochent à elle, ça fait mal. Mais il faut faire vite ! Elle court, et elle sent la terre ferme. Carice est sauvée. Tout est fini. Jamais plus elle se laissera faire, jamais plus il y aura des hommes au dessus d'elle.
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Thorgor
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Carice, en fait de liberté, s'était dépérie. Les années avaient passé, et Carice les avait vécues dans la crainte de ses semblables. Terrée au plus profond du désert, elle s'était oubliée, comme elle avait eu tôt fait d'oublier sa génitrice honnie.

Pourtant, Carice avait connu l'amour. Car la jeune fille, peu après sa fuite, avait été mère. Son fils, qu'elle n'avait pas dénommé, était un frêle petit être qui hurlait nuit et jour, crachant cette rage que Carice lui avait transmise toute entière et pure, ayant eu le malheur de n'en être jamais animée.
Et brusquement, l'enfant s'était tu. Carice l'avait veillé longtemps, lui blotti contre son sein, ce sein dont elle avait si peur de l'éloigner. Elle l'avait noyé de larmes, étouffé de doux encouragements, tout en restant prostrée là, ce nourrisson tout contre elle, guettant le retour de la rage qui l'avait fait vivre.
Peu à peu, elle aussi s'était affaiblie. Quand le fils de Carice cria de nouveau, ce fut son dernier soupir.
En guise de deuil, elle avait laminé le petit corps sans vie sur le rocher qui lui servait d'abri. Mais ce n'était toujours pas de la rage, car elle était condamnée à ne jamais la connaître. C'était simplement la souffrance, à nu. Peut-être le poids de la culpabilité l'écrasait-il également.
Pourtant, pas un instant Carice ne songea à mettre fin à ses jours. Dès lors, elle ne fit plus que survivre.

C'était maintenant une femme. Bien d'autres bébés étaient nés, procurant à leurs mères ces joies aveugles que Carice ne devait plus ressentir. Le jour où prit fin son ascétisme, le jour où un pélerin la convainquit de le suivre, elle se traîna au devant du monde avec la langueur de celles qui ont trop enduré.

En réalité, Carice brûlait intérieurement. De ce feu qui dévorent certains jusqu'à ce qu'ils le domptent. Et explosent.
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