(Première partie ici)
Par une chaude nuit en Albion, Thorgor Braveheart, qui rentrait de longues journées de travail à Emblème, reçut une flèche en plein coeur. Il tomba de cheval et fut tué sans comprendre. Mais cela, personne ne le savait. Car quelques jours plus tard, Thorgor fut aperçu non loin de la Cité d'Avalon. L'oeil fou. Le front dégoulinant de sueur. Il avait ôté sa cape et tous les insignes des Albaroth, ce qui surprit grandement ceux de ses frères d'arme qui l'aperçurent. Il déambula comme dans un songe jusqu'à arriver face à Lucifer, fièrement dressé devant les portes de la cité maudite, encerclé de flammes rougeoyantes.
Là, Thorgor injuria Lucifer. Il cracha dessus et lui lança des pierres. Et le démon ne fit rien. Thorgor lui rit au nez, d'un rire tonitruant qui fit trembler les jeunes chasseurs alentours. Lorsque les premiers légionnaires accoururent pour défendre leur maître maléfique, le Maître d'Armes s'assit en ricanant et leur tint ces propos : "Allez, je ne vous crains pas, pauvres âmes perdues. Je n'ai pas peur de la mort que vous m'offrirez. Car demain, je serai là."
Et Thorgor périt sous leurs coups et leurs sortilèges, dans un affreux rictus de démence. Mais à la plus profonde heure de la nuit, le cadavre de Thorgor, qui gisait toujours aux pieds de Lucifer, sembla se réchauffer. Car son âme était toujours là. Tapie dans l'ombre du trépas, elle contemplait le flot quasi-ininterrompu des tués qui passaient le fleuve des morts. Elle observait les milliers d'esprits tourmentés de la Légion Noire qui restaient au beau milieu, incapables d'atteindre l'une ou l'autre rive. Elle ignorait pourquoi elle ne s'approchait pas du passeur, pourquoi elle ne prenait pas la barque qui l'emmènerait dans l'autre monde. Elle ignorait quelle malédiction ou quel miracle l'en empêchait, mais elle bénissait ce prodige. Toutefois, l'âme de Thorgor était inquiète. Etait-il condamné à vivre jusqu'à la fin des temps ? N'obtiendrait-il jamais le repos éternel que chacun mérite ?
Fidèle à sa prédiction, Thorgor fut de retour le lendemain. Ceux informés de l'évènement de la veille le regardaient d'un air tantôt apeuré, tantôt admiratif. Mais Thorgor ne s'en souciait guère. Son âme lui était revenue, mais pas sa raison. Il tenait des propos incohérents, s'agitait, était soudain pris de violentes convulsions, éructait, se calmait... La situation fut ainsi pendant plusieurs semaines, durant lesquelles la seule personne avec qui Thorgor semblait recouvrer ses esprits était son frère de sang, Camysama. Les deux hommes partaient chasser durant de longues journées, retrouvaient d'autres amis, et personne, en la présence de Camysama, n'eût pu dire du maître d'armes qu'il était fou.